Source : RTBF
Le 22 mars 2016, à 7h56, Pierre-Yves Desaive retire de l’argent au distributeur qui se trouve dans le hall des départs de l’aéroport de Zaventem. À 7h58, la première bombe explose. Onze secondes plus tard, la deuxième bombe est déclenchée. D’ici quelques jours, il va témoigner devant la cour d’assises de Bruxelles de ces minutes qui ont changé sa vie.
C’est une nouvelle séquence qui commence ce lundi 6 mars au procès des attentats de Bruxelles. Pendant près d’un mois, les victimes de l’aéroport et du métro vont se succéder pour prendre la parole et livrer leur témoignage. Après plusieurs reports, les victimes soufflent un : "enfin".
Pierre-Yves Desaive se prépare à cette prise de parole. L’homme est historien de l’art, responsable des collections modernes aux Musées Royaux des Beaux-Arts. Le 22 mars 2016, il doit prendre un avion pour se rendre à Milan dans le cadre de la promotion d’une exposition qu’il a coorganisée. Ironie du sort, cette exposition abordait la question de la violence inhérente au religieux.
Pendant longtemps, le déni
La bombe a explosé précisément à l’endroit où Pierre-Yves Desaive se trouvait. Pendant longtemps, pour se protéger, son cerveau a été dans le déni. Il visualisait les explosions ailleurs, plus loin de lui. Encore aujourd’hui, Pierre-Yves Desaive a parfois du mal à y croire :"la raison pour laquelle je n’ai pas été blessé restera à jamais un mystère. Ça paraît tellement miraculeux, tellement incompréhensible qu’on se rattache à des éléments concrets".
Ces éléments concrets mentionnés par Pierre-Yves Desaive, c’est notamment un extrait de compte. La preuve qu’il a bien retiré de l’argent, qu’il était bien à cet endroit-là, à ce moment-là. L’homme analyse ce mécanisme : "Ce doute fait partie d’un sentiment qui est la culpabilité du survivant. Je croise des gens qui ont perdu des proches, qui ont été très grièvement blessés. Moi, je m’en suis sorti sans blessure physique. D’autres n’ont pas eu cette chance".
Le besoin de témoigner, d’être actif
Après le déni, Pierre-Yves Desaive a ressenti le besoin d’être dans l’action. Lors du procès, il est reconnu comme partie civile. Il se rend très régulièrement aux audiences. Il a aussi fait le choix de témoigner devant la cour d’assises. Il explique son cheminement : "Cela fait partie d’un processus actif. Le but est de ne pas rester dans le passif, de ne pas rester avec le statut de victime". Et d’ajouter : "Le moment du témoignage est important. C’est un moment dans lequel je vais vraiment sceller la vérité. En tout cas, ma vérité. Celle que j’ai vécue".
Alors depuis plusieurs semaines, Pierre-Yves Desaive réfléchit à cette prise de parole. La présidente de la cour d’assises a insisté sur le côté oral de la procédure en cour d’assises. Elle encourage donc les victimes à venir témoigner sans texte écrit à l’avance, mais cette consigne dérange. "Cela donne le sentiment d’une totale improvisation. On a vraiment l’impression d’aller dans l’inconnu", regrette Pierre-Yves Desaive.
Même si ce survivant se demande encore et toujours quelle est sa légitimité à s’exprimer, lui qui s’en est sorti indemne, il tient à éclairer le jury sur les conséquences de l’attentat. "Cela ne peut pas être exprimé par les enquêteurs ou par les premiers intervenants. Ça ne peut être exprimé que par les victimes, les personnes qui étaient sur place", estime-t-il.
Enfin, il souhaite souligner le manque de préparation des autorités à l’époque : "Rien n’était prêt. Il n’y avait aucun plan d’évacuation. Les militaires étaient là, mais ils n’avaient aucune indication à nous donner. On a vraiment été laissé à notre sort jusqu’à ce que les secours arrivent".
Heureusement, dans ces quelques minutes d’enfer, Pierre-Yves Desaive se souvient des gestes du personnel navigant : "Ces personnes se sont improvisé sauveteurs et sauveteuses, elles ont eu des gestes extraordinaires et, pourtant, on les a souvent oubliées".
Deux semaines sont prévues à l’agenda pour les victimes de Zaventem. Ensuite, deux semaines pour les victimes du métro Maelbeek. Pour les victimes, c’est enfin le moment de déposer leur récit. Un moment qui sera certainement très difficile, mais nécessaire pour leur reconstruction.